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TECHNIQUES ET SANTÉ

Parlons Motivation

Aimer les êtres et leur transmettre des outils pour qu’ils s’aiment eux-mêmes est un postulat de base de l’enseignant.

Une de mes amies professeur de chant qui s’inquiète pour tous en ce début d’année, m’a demandé de parler de « motivation ». Ce n’est pas le cœur de mon métier, mais 40 années à enseigner l’être et sa voix sous toutes leurs coutures, peuvent m’aider à vous transmettre mes réflexions sur ce sujet. J’espère qu’elles pourront vous être d’une quelconque utilité.

Plusieurs types de motivations existent chez l’Être humain et à fortiori chez le chanteur : la motivation provenant de l’extérieur et celle provenant de l’intérieur.

La motivation extérieure pour nos élèves regroupe plusieurs types de moteurs :
• Le fait de plaire.
• Le fait de faire ce qu’on pense que le monde attend de nous.
• Le fait de trouver du travail et gagner sa vie.
• La valorisation de ce que l’on produit.
• La reconnaissance par autrui de nos efforts, notre talent, notre aptitude...
• La sensation d’appartenance à un groupe, un savoir-faire, un art… une forme d’affiliation

Tout cela valide en quelque sorte, le choix qui est fait par une personne, du chemin qu’elle choisit.

La motivation intérieure devrait être le déclencheur premier, mais ce n’est pas toujours le cas malheureusement. Cela se résumerait par :
• Pourquoi je choisis cette Voie d’étude, de pratique, et de représentation du Moi ?
• Qu’est-ce que j’y mets comme énergie ?
• Quel ressenti valide pas à pas mon choix ?
• Quelle quête est la mienne lorsque je m’imagine professionnel ?
• Quels moyens dois-je investir pour acquérir les compétences requises ?
• Qu’est-ce que j’accepte de sacrifier pour arriver à ce que je sens être le bon chemin pour réussir ?
• Qu’est-ce qui peut me rendre autonome dans ma pratique pour le futur ?

Devenir chanteur, surtout lyrique, demande beaucoup d’abnégation pour un jeune sortant de l’adolescence. La société avec les « live shows » et internet diffuse souvent l’image d’un « tout le monde peut le faire / peut être une star / Il n’y a pas tant à faire pour arriver à etc... » Le travail de l’enseignant n’en est que plus ardu.
Comment en effet montrer que les difficultés, bien que réelles, sont surmontables ?
Comment aussi après cette période covidienne traumatisante, rebooster le capital confiance de nos étudiants dans nos métiers ? L’artiste et l’apprenti ont cru que leur métier n’était pas valorisé par la société...voire « inutile »... Il faut pouvoir leur exprimer que sans artistes le séjour sur Terre serait insupportable. Ce sont toujours les arts qui ont témoigné de la culture, de l’époque, de la transcendance, de la joie ou la colère des peuples. Une population sans artistes est une civilisation en déclin. Ils sont la relève de l’enchainement de générations d’artistes qui ont chanté leur époque, leur style, leurs compositeurs et librettistes. Ils sont le ferment de l’art contemporain qui témoignera de notre époque.

Il me semble que faire un « check » en début d’année de tous les points sus-cités, avec chacun, à l’oral ou à l’écrit, peut amener une réflexion positive dans la motivation. En effet, les jeunes font parfois les choses par coup de tête, rébellion, manque de direction. Les plus motivés ne sont pas forcément les plus doués. En revanche, ils savent ce qu’ils veulent. 
Pour les premiers, il est peut-être judicieux de leur apprendre à affirmer leur désir profond d’exister dans leur art, juste pour eux-mêmes.

Lorsque les choix sont fermement déterminés, les résultats sont toujours positifs.
Ces résultats peuvent se matérialiser de différentes façons. En effet, La carrière d’une personne n’est pas uniforme. On peut à tous moments de l’existence transmuter son savoir vers d’autres directions. Si le savoir est riche en ressentis et en expériences, qu’est-ce qui empêcherait une bifurcation d’être un meilleur chemin ? Les chanteurs ne peuvent pas être tous sur « scène ou starisés ». En revanche, il y a de multiples débouchés pour une personne ayant de solides acquis.

Ainsi pour renforcer les 2 aspects intrinsèques et extrinsèques de la motivation, il me paraît utile :
• De préparer avec chacun un programme en début d’année valorisant l’élève. Ce programme ne doit pas le mettre en danger mais explorer les points techniques et/ou d’interprétation qui vont le faire progresser. On lui indiquera avec son assentiment ce qu’il peut attendre de la finalisation de ce travail : des aigus plus solides, un légato plus sensuel, des vocalises plus en dentelles, une rondeur dans les passages, des passages plus fluides, une respiration plus adaptée à la structure de ce qui est chanté/interprété...

L’expérience m’a montrée que le choix de morceaux, plaisant à l’élève et lui donnant des challenges à sa mesure étaient une source solide d’inspiration.

• On peut aussi donner un programme d’exercices « upgradant » progressivement les difficultés techniques. Lorsqu’on fera tel exercice avec facilité, on sera à tel niveau de ressenti et de maîtrise de l’instrument. Cela motive la partie dépassement de soi.

• Établir un parcours d’écoute d’œuvres et d’analyses en allant à l’Opéra ensemble ou en rencontrant des artistes chantant certains morceaux étudiés ensemble peut être très motivant. Car apprendre à l’étudiant non pas à juger mais à comprendre ce qu’implique d’investir un rôle est à mon sens une transmission indispensable.

• Préparer de petits spectacles – concerts devant un public interne à l’établissement ou au cours privé est toujours générateur de joie. La motivation qui en découle amène en général les étudiants à se dépasser… le professeur parfois aussi, même si cela demande une énergie plus intense.

Savoir être présent en tant que pédagogue mais pas trop en tant que « parent » est aussi important pour ne pas entraîner l’énergie du jeune étudiant vers une rébellion ou un attentisme. L’enseignant n’est pas là pour tout comprendre ou accepter mais bien pour l’amener plus loin dans la connaissance de ses capacités. Lui faire comprendre qu’on a les moyens de le guider plus loin dans son art est aussi très motivant. Un élève a besoin de « mentors » à qui s’identifier sur son chemin d’apprentissage. Notre solidité est un des garants de leur solidité.

Avancer nous aussi sur le chemin infini de la connaissance est indispensable. Cela fait naître le mouvement de vie qui génère celui de leur motivation. Mais notre savoir doit se faire en « creux », en toile de fond, pour qu’ils aient le désir de nous remplir de leur évolution. Je veux dire que nous devons aussi pouvoir leur laisser la place en les faisant se questionner, se prouver, se déployer. Ainsi la motivation doit d’abord être nôtre avant de pouvoir être transmise.